• L'arabe dialectal tunisien: une mosaïque des langues 

    Le dialecte tunisien représente une variante « déformée » de l’arabe littéral et il se distingue par la présence d’une et/ou de plusieurs variantes d’autres langues étrangères.  Nous pouvons relever un nombre important d’expressions et des mots d’origine italienne, française, turque, espagnole et même maltaises. La présence de ces langues remonte essentiellement à des faits historiques : la Tunisie était depuis trois millénaires d’années un lieu de rencontre de plusieurs civilisations: les phéniciens, les romains, les vandales, les byzantins, les arabes, les espagnols, les turcs, les italiens et les français, ces populations qui se succèdent arrivent chacune avec sa langue qui devinait la langue officielle du pays comme ce fût le cas de turc, l’arabe, l’italien et le français. En raison de brassage et de contact de toutes ces civilisations et ces langues tout au long de plusieurs siècles, on puisse relever jusqu’aux nos jours les traces de ces langues dans le parlé tunisien où on remarque le passage  de certains mots à travers l’emprunt lexical ou le calque ce qui a donné à ce dialecte une proportion interculturelle et cosmopolite.

    Par exemple le locuteur tunisien (enfant ou adulte) pour dire qu’il a croisé un chat dans la cuisine à coté du réfrigérateur : [lqyt gattous fyl couzina byḫḏa il frigo].

     Dans cette phrase on trouve :

    -          [lqyt] : de l’arabe littéral (iltaqytou). Traduction : croiser.

    -          [gattous] : mot maltais. Traduction : chat.

    -          [fyl] : préposition arabe. Traduction : dans.

    -          [couzina] : mot italien. Traduction : la cuisine.

    -           [byḫḏa] : arabe littéral. Traduction : à coté de

    -          [il] : article définit arabe. Traduction : le.

    -          [frigo] : mot français : réfrigérateur.

     

    Donc, nous pouvons remarquer que dans ce message il y a trois mots empruntés du français, italien et maltais. En faite, l’usage des mots étrangers dans le dialecte tunisien est fréquent d’ailleurs, nous pouvons relever plusieurs mots empruntés de turc, berbère, et même espagnol et nous trouvons dans ce tableau un exemple de ces mots :


    L’origine et la signification de quelques mots employés dans le dialecte tunisien

    Mots

    Origine

    Signification en français

    barraquâ

    Italien

    Baraque

    Banquâ

    Italien

    Banque

    D’accordou

    Italien

    D’accord

    Fatchattâ

    Italien

    Façade

    Fichtâ

    Italien

    Jour férié (fête)

    Mekinâ

    Italien

    Machine

    Ratsâ

    Italien

    Race

    Karroussâ

    Italien

    Carrosse

    Macarona

    Italien

    Pâtes alimentaires, macaroni

    Osbitar

    Italien

    Hôpital

    Babour

    Turc

    Navire

    Sfennariya

    Turc

    Carottes

    Kâhwaji

    Turc

    Serveur dans un café

    Bustâji[1]

    Turc

    Postier

    Barnous

    Berbère

    Burnous

    Couscous

    Berbère

    Couscous

    Battaniya

    Berbère

    Couverte

    Sâbbat

    Espagnol

    Chaussure

    Boustâ

    Français

    Poste

    Blâssa

    Français

    Place

    Bâquô

    Français

    Paquet

    Brikiya

    Français

    Briquet

    Bisklet

    Français

    Bicyclette

    Tryciti

    Français

    Électricité

    Bya :sâ

    Français

    Pièce

    Kar

    Français

    Autocar

    Trinô

    Français

    Train

    Cigarô

    Français

    Cigarette

    Kayés

    Français

    Caillasses

    Cartablâ

    Français

    Cartable

     

    Cette liste n’est qu’un échantillon de  mots qui sont employés quotidiennement dans les conversations courantes du tunisien et nous pouvons constater qu’ils sont adaptés à la phonologie arabe pour faciliter la prononciation comme briquet qui devient brikiya, carrosse, carroussa, train, trinô… ce qui engendre une modification au niveau phonologique. D’autres termes peuvent subir des changements au niveau de signifié lui-même et les mots zûfri, mazigri, peuvent êtres des bons exemples.

    Zûfri [2]: le mot est d’origine français, il est le syntagme (les ouvriers) [le zouvrije], il était employé au début par les colons français pour désigner les ouvriers qui travaillent dans le secteur agricole et industriel.

    En premier lieu, le tunisien a emprunté ce syntagme sous la forme de zûfri et il désigne le même signifié (ouvrier mais au singulier) et pour le pluriel il a crée une variante de ce mot qui se rapproche de la phonologie de l’arabe dialectal [zûfrjâ].

    Puis, et à force d’accorder aux ouvriers des connotations péjoratives tels que le fainéant, le voleur. Le terme a subi un glissement du sens pour désigner aujourd’hui « voyou ».

    De même, le terme [mazigri], est  d’origine français et il est issu du syntagme les immigrés. Ce syntagme s’est donc trouvé à la source d’un emprunt lexical dans le dialecte tunisien sous la forme de mazigri et il est singulier quant au signifié, il s’est dérivé vers le sens d’un immigré clandestin.

    Ces emprunts ne doivent pas être confondus avec l’usage direct des mots et des locutions françaises dans le parlé quotidien des tunisiens. Le français est employé particulièrement dans le monde des affaires et nous pouvons relever plusieurs surtout dans le jargon professionnel et les sciences tels que : la médecine, l’informatique, la pharmacie, la bureautique….

    De même, le tunisien emploie quelques expressions et mots dans ses conversations courantes et nous pouvons citer à titre d’exemple : ça va ?, à plus, désolé, rendez-vous…

    Toutes ces expressions et ces mots sont utilisés sans qu’ils soient adaptés à la phonologie arabe à l’exception de « R » français [ʁ] que les hommes le remplace généralement par  [r].

       La dialectologie tunisienne a fait l’objet de plusieurs études faites par des linguistes et des sociologues comme celles de Michael Gibson[3] et William Marçoi [4].

     

     


    [1] A noter que la majorité de noms des métiers sont d’origine turc surtout lorsqu’ils se terminent par le suffixe  [ji] comme boustanji « jardinier », mramaji, « ouvrier »…

    [2] Exemple de Juliette Garmadi, La sociolinguistique, éd.PUF, Paris, 1981, p.154-156

    [3] Michael Gibson, Dialect Contact in Tunisian Arabic. Sociolinguistic and structural aspects, éd. Université de Reading, Reading, 1998

    [4] William Marçoi, les parlers arabes, initiation à la Tunisie, éd. Adrien Maisonneuve, Paris 1950, pp195-219

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